BRÈVE HISTOIRE DE LA GRÈCE ANTIQUE

 

I - À L’ORIGINE ÉTAIENT LES GRECS

Nous savons qu'Homère, Sophocle, Platon et tant d'autres sont aux origines de la culture occidentale. L'art grec, redécouvert au XVIe siècle, est entré en force dans le langage des architectes et des sculpteurs, et fait partie intégrante de notre patrimoine. Nous tenons les Grecs pour les « inventeurs » de la politique, et notre vocabulaire utilise des termes grecs pour désigner les principaux régimes, de « monarchie » à « démocratie ». Ainsi, la force du modèle antique a traversé les temps, marquant même ceux qui, comme les révolutionnaires de 1789, voulaient construire un monde nouveau.

L'attention trop exclusive portée à l'époque classique – au Ve siècle et à Athènes – laissait de larges zones d'ombre dans une histoire longue de plus d'un millénaire. Aujourd'hui, les progrès considérables de l'archéologie font renaître des villes, des sanctuaires, des palais avec leurs archives minutieuses, qui composent une première histoire de la Grèce. De nouvelles lectures des textes, des méthodes d'analyse confortées par les progrès des autres sciences humaines (ethnologie, sociologie, psychanalyse) permettent, de surcroît, de mieux comprendre l'univers mental de Grecs plus proches qu'on ne le pensait des populations dites « primitives ».

II - LES PREMIERS GRECS

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Le pays semble peu fait pour retenir les hommes, avec un relief montagneux (80 % de la superficie totale) et compartimenté, et des petites plaines mal reliées entre elles. Au nord se trouvent à la fois les plus hauts sommets (plus de 2 000 m) et les plus grandes plaines (Macédoine, Thessalie). Le cœur du monde grec est baigné par la mer Égée (aucun point de la Grèce n'est à plus de 90 Km de la mer), et une multitude d'îles forment comme un pont naturel reliant la Grèce centrale et le Péloponnèse à la côte d'Asie Mineure. La Crète ferme, au sud, cette véritable mer intérieure, voie principale de tous les contacts.

Le sol est aride, et le climat rude. L'agriculture, typiquement méditerranéenne, fondée sur la trilogie : céréales, vigne, olivier, restera toujours précaire malgré une extension des terrains cultivés, qui, dès l'Antiquité, fit considérablement reculer la forêt. L'élevage, essentiellement ovin et caprin, s'est adapté à la garrigue.

Les ressources minières (argent, cuivre, plomb argentifère) sont faibles, et, dès l'âge du bronze, les Grecs durent aller chercher ailleurs l'étain nécessaire à la constitution de cet alliage. À l'âge du fer, les minuscules gisements des îles seront plus insuffisants encore.

Les premiers établissements humains connus remontent pourtant à près de 40 000 ans avant notre ère (en Épire au nord-ouest de la Grèce, par exemple). Les habitats restent rares au paléolithique mais se multiplient à l'époque néolithique (en Grèce, du Ve au IIIe millénaire). Au tournant des IIIe et IIe millénaires, les hommes dans lesquels on s'accorde à reconnaître les premiers Grecs arrivent des steppes situées entre Caspienne et mer Noire, ou des hauts plateaux anatoliens. Leur langue (encore parlée trente-quatre siècles plus tard sous la forme évoluée du grec moderne) se rattache, sans contestation possible, à celle des Indo-Européens.

A - LE MONDE MYCÉNIEN (2 600 - 1 200 av. J.-C.)

Parmi les civilisations helladiques[1] qui se sont développées dans le monde grec de 2600 à 1200 av. J.‑C., la culture mycénienne – du nom de Mycènes, l'un de ses centres les plus importants – est aujourd'hui mieux connue non seulement grâce aux remparts cyclopéens, aux tombes et aux palais mis au jour par les archéologues, mais aussi grâce aux tablettes (datées au plus tard de 1 200) portant des inscriptions dans une écriture appelée « linéaire B », déchiffrées par Michael Ventris et John Chadwick en 1952.

B - LES ACHÉENS

Les Achéens sont les premiers Grecs qui semblent avoir profité largement de l'expérience de la brillante civilisation minoenne développée dès le début de l'âge du bronze : ce sont des scribes crétois qui ont transformé le linéaire A, en usage dans l'île, pour l'adapter aux besoins des rois mycéniens. Les tablettes sont des archives comptables. Elles révèlent que le palais draine, pour l'accumuler dans les mains du wanax (« roi »), toute la richesse des collectivités agricoles villageoises. Remarquable instrument de puissance, ce système palatial (ou tributaire) est très proche des grands systèmes orientaux (mésopotamien, égyptien). Il s'en distingue cependant par son caractère militaire fortement accusé (et probablement lié à la conquête). Les impératifs de défense (qui transparaissent, par exemple, dans la différence entre les palais crétois et les forteresses mycéniennes), la réalisation de tombes monumentales (les tholoi) et l'incroyable richesse de certaines d'entre elles (telles les dépouilles couvertes d'or de Mycènes) semblent avoir absorbé une énergie qui, ailleurs, se fait expression picturale du pouvoir d'État.

C - DE L’UNITÉ À L’ÉCLATEMENT

C'est un faciès quelque peu atypique et fragile des grands systèmes orientaux qu'offre la Grèce achéenne.

Bien que chaque centre paraisse avoir eu une existence indépendante, le monde mycénien forme un tout. Sa remarquable unité économique est mise en évidence, en particulier, par la diffusion d'une rive à l'autre de la Méditerranée (de Rhodes, Milet, Chypre à l’est aux futures Tarente et Sybaris en Italie, au nord de la Calabre) d'une céramique « mycénienne ». L'ambre, l'obsidienne, l'étain et le cuivre – échangés contre les surplus de l'agriculture – faisaient l'objet d'un commerce à longue distance. Cette découverte du monde méditerranéen devait laisser de nombreuses traces dans le mythe grec.

Le monde mycénien se désagrège lentement, une vague de destructions atteint la majorité des palais dès la fin du XIIIe siècle et provoque des migrations vers les îles du Dodécanèse[2] et vers Chypre. Invasions (Doriens, Peuples de la mer) ? Conflits internes ? Catastrophes naturelles ? Autant d'hypothèses qui peut-être ne s'excluent pas. La désintégration culturelle est accélérée par de nouvelles et graves destructions vers 1 125-1 100. L'unité du monde mycénien est rompue, et sa dynamique de croissance stoppée ; la Grèce n'est plus qu'un agrégat de petits États disparates, affaiblis et repliés sur eux-mêmes.

D - LES SIÈCLES OBSCURS (XIIe - XIe SIÈCLE av. J.-C.)

Les XIIe et XIe siècles av. J.‑C. montrent l'ampleur des changements. L'extrême dépopulation est encore accrue par de nouvelles migrations vers les côtes occidentales de l'Asie Mineure : selon les calculs généralement admis, la Grèce pourrait avoir perdu les trois quarts de ses habitants. Pendant cette période de recul, ces populations, si démunies qu'elles soient, innovent sur le plan technique : la céramique protogéométrique (maîtrisée surtout à Athènes et à Argos) utilise un tour plus rapide, la brosse multiple et le compas. De plus, elles travaillent désormais le fer, resté très rare à l'époque mycénienne, mais qui, dès le XIe siècle, devient prépondérant.

Elles subissent également de profondes mutations dans leur genre de vie (passage de l'agriculture à une économie plus largement pastorale) et dans leurs attitudes face à la mort (la crémation tend à devenir la règle, on n'inhume plus que les enfants et, peut-être, les gens sans importance). Ce sont ces populations qui devaient jeter les bases de la nouvelle société grecque : celle de la cité.

C'est probablement pendant ce « Moyen Âge grec » que se développe, à partir de légendes hétéroclites, l'épopée homérique[3].

III - LA GRÈCE DES CITÉS

Les Grecs se caractérisent comme « ceux qui vivent en cités », et Aristote généralise cette particularité historique en définissant l'homme comme un « animal politique ». La cité, ou polis, est en fait une forme très particulière d'État. Elle est avant tout la communauté des citoyens qui la composent – ainsi, pour parler de Sparte, un Grec dit « la cité des Lacédémoniens[4] » –, communauté cimentée par des cultes, régie par des lois qui lui sont propres et souveraine sur un territoire (8 400 km2 pour Sparte, 2 650 km2 pour Athènes, 880 km2 pour Corinthe et, parfois, beaucoup moins). L'espace agricole (la chôra : la campagne) entretient avec le centre urbain (l'asty : la ville par opposition à la campagne : chôra) des liens étroits.

Cependant, les régions du Nord, comme la Thessalie et la Macédoine, les montagnes de l'Ouest (Locride, Étolie, Acarnanie) et du Péloponnèse maintiennent longtemps des formes archaïques d'économie et de société. Mais l'État - ethnos[5]- c'est le nom donné à ce type de communauté assez proche encore de l'organisation tribale – ne joue pas un grand rôle dans l'histoire avant l'époque hellénistique, et les Grecs du Ve siècle, « mangeurs de pains », tiennent ces peuples, « mangeurs de glands », pour des semi-Barbares.

A - LA « POLIS » ARCHAÏQUE

La polis archaïque naît de la réunion (synœcisme[6]) d'un ensemble de villages suffisamment proches les uns des autres pour tirer parti d'une citadelle commune.

Le phénomène religieux entre dans le processus de structuration de la communauté : entre 900 et 800 ; les offrandes commencent à affluer sur le site des futurs grands centres religieux de la Grèce : ceux de Samos, de Pérachora et d'Argos (voués à Héra) ; ceux d'Érétrie en Eubée, de Thermon en Étolie, de Délos et de Delphes (voués à Apollon) mais aussi d'Olympie et de Dodone (voués à Zeus) sont parmi les plus anciens sanctuaires. Le développement de ces cultes communs – qui seront bientôt ceux de la divinité protectrice de la cité – traduit bien le progrès de l'idée communautaire.

La tradition grecque donne la date des premiers jeux Olympiques (776) comme marquant le début du fonctionnement normal des cités, et c'est effectivement dès la première moitié du VIIIe siècle que s'organisent ces États qui, si primitifs soient-ils, témoignent déjà des fonctions embryonnaires de la cité.

B - L’ÉCRITURE ALPHABÉTIQUE

L'écriture alphabétique est acquise par les Grecs pendant la même période. Empruntée aux Phéniciens, elle modifie profondément les « fonctions de la mémoire » dans la cité. L'écriture accompagne et facilite la formation de l'État et le développement de ses institutions : un des textes de décret les plus archaïques que nous possédions (VIIe siècle) provient de Dreros, en Crète ; il porte déjà la formule « la cité a décidé ». Au-delà de la diversité des situations, que l'histoire ne fera qu'accentuer, la cité grecque, dès ses débuts, possède ses caractéristiques propres : une prééminence reconnue du facteur politique, un partage des responsabilités entre les citoyens, plus ou moins égaux devant les instances délibératives et exécutives de l'État ; et par conséquent l'accès aux charges et aux honneurs de la cité. Les Grecs, par opposition au reste du monde ancien, ont pleine conscience de l'unité profonde d'un système qui reste parfaitement original dans l'histoire.

IV - MUTATIONS DE L’ÉPOQUE ARCHAÏQUE

Lorsque la cité entre dans l'histoire, presque partout les rois ont disparu, et leurs attributions ont été réparties entre plusieurs magistrats (archontes[7], polémarque[8]et éponyme[9], par exemple, à Athènes). Même les deux « rois » de Sparte sont plus des généraux et des prêtres que de véritables chefs politiques. La réalité du pouvoir est passée à de petits groupes de familles aristocratiques qui se qualifient eux-mêmes d'agathoi (« les bons ») ou d'aristoi (« les meilleurs »), par opposition aux kakoi (« les méchants »), c'est-à-dire les humbles, confusion révélatrice entre les sphères de la société et de la morale ! Les aristocrates monopolisent la quasi-totalité de la terre et dirigent la cité, en partie dans le cadre des institutions officielles, en partie grâce aux liens familiaux qui les constituent en « haute société » et aux généalogies prestigieuses qui, leur donnant pour ancêtres des héros ou des dieux, leur confèrent une autorité intangible.

Entre ces aristocrates et le reste de la population, plus ou moins intégrée à la cité (par le biais d'une assemblée du peuple sans grand pouvoir encore), les tensions, que certains facteurs d'évolution accentuent, se transforment bientôt en conflits ouverts.

La colonisation devait avoir des conséquences capitales pour le développement des échanges en Méditerranée : les cités de la vieille Grèce ont besoin de métaux, de blé et, au fur et à mesure que s'accroissent les richesses, de produits de luxe pour l'aristocratie, ce qui entraîne un développement de l'artisanat.

A - DÉBUTS DE LA MONNAIE

À la fin du VIIe siècle, les cités grecques d'Asie empruntent la monnaie aux rois lydiens[10], à la richesse proverbiale, et, au cours du siècle suivant, elle se répand dans toute la Grèce. L'absence de petit numéraire laisse à penser que la monnaie n'avait qu'un faible rôle à l'échelon du commerce local ; en outre, l'aire limitée de circulation des unités monétaires propres à chaque cité – avant qu'Athènes, au Ve siècle, n'impose ses pièces d'argent frappées de son emblème, la chouette – interroge sur le rôle économique de la monnaie à ses débuts. Par ailleurs, la découverte de « trésors » de pièces fondues ou partagées semble indiquer que la monnaie a d'abord circulé comme objet d'échange (un poids d'argent estampillé, donc certifié) avant de devenir un étalon de commune mesure. Cette dernière fonction paraît d'ailleurs liée aux rapports nouveaux qu'instaure le développement de l'État (prélèvements fiscaux, fixation des amendes et des peines, rétribution de mercenaires étrangers...).

La thèse classique veut que cette apparition de la monnaie ait développé une richesse mobilière entre les mains de commerçants ou d'artisans constituant bientôt une « bourgeoisie » capable de mettre en péril l'ancienne aristocratie. En réalité, cette nouvelle forme de richesse menace l'aristocratie de l'intérieur : une faille apparaît, en effet, entre des nobles attachés aux valeurs foncières et fermés à toute évolution économique et une aristocratie plus ouverte (Solon[11] en est, à Athènes, un excellent représentant) qui se lance dans le commerce et pactise avec la valeur nouvelle de l'argent.

B - LA RÉFORME HOPLITIQUE

L'équilibre de la société aristocratique est également menacé par la réforme hoplitique. On appelle ainsi une modification fondamentale des conditions de la guerre : le rôle principal, jusque-là dévolu aux cavaliers (c'est-à-dire aux aristocrates, seuls capables de posséder des chevaux), passe à l'infanterie lourde, les hoplites. Ces derniers sont des hommes aisés puisqu'ils doivent fournir leur propre armure, leur casque à cimier[12] et leur équipement (la longue lance, l'épée et le bouclier rond).

Beaucoup viennent des couches moyennes de la population et sont un contrepoids en puissance dans les luttes politiques. La panoplie de l'hoplite fait son apparition dès le IXe siècle (tombe d'Argos), mais le bouclier à double poignée semble plus tardif, et c'est au VIIe siècle seulement que les peintures de vases portent témoignage sur la nouvelle technique de combat : la phalange[13]. Alors que le combat homérique – une somme de duels entre des héros – exaltait la bravoure individuelle, la formation de la phalange implique un combat collectif, en rangs serrés. Elle impose les principes de solidarité, d'égalité dans le rang et d'interchangeabilité. La défense de la cité et de son territoire cesse ainsi d'être le privilège d'une étroite aristocratie pour devenir le fait de tous, et le dêmos (le « peuple »), plus fortement intégré, va prendre conscience de ses droits et développer ses revendications.

C - LA CRISE AGRAIRE

L'évolution de l'art de la guerre rend moins justifiée et moins supportable la domination économique de l'aristocratie. Au moment même où cette dernière voit ses intérêts diverger, les tensions s'accroissent entre ceux que, en Béotie, Hésiode appelle les « gras » et les « maigres ». Ces derniers – les paysans pauvres – ont vu les partages successoraux diviser encore un domaine déjà trop réduit. C'est à Athènes que nous connaissons le mieux ces problèmes agraires, auxquels Solon devait, provisoirement, mettre fin. La crise, cependant, paraît avoir affecté toutes les cités grecques au VIIe siècle. Le dêmos revendique la remise des dettes et un nouveau partage des terres (inspiré peut-être du modèle colonial). C'est de ces troubles mêmes que naissent les solutions politiques destinées avant tout à reconstituer la communauté de la cité en crise.

D - NAISSANCE DES RÉGIMES POLITIQUES

L'une des premières revendications du dêmos fut, dans de nombreuses cités évoluées, celle d'une législation soustraite à l'arbitraire des aristocrates, donc écrite. Ainsi s'explique le mouvement des législateurs qui prétendaient, par l'établissement de lois nomoi), assurer le triomphe de la justice.

Ainsi firent les aisymnètes (présidents de commissions juridiques) dans les riches cités grecques d'Asie Mineure (Épimènes de Milet, Pittacos de Mytilène ou Aristarque d'Éphèse), Charondas de Catane et Zaleucos de Locres en Occident, Dracon[14] en 621 puis Solon au début du VIe siècle à Athènes et, beaucoup plus tôt peut-être, Lycurgue[15] à Sparte. Loi attribuée à ce dernier, la « grande rhêtra » (la Grande Loi), devait, pendant des siècles, fixer le destin d'une communauté élargie de citoyens – les « Égaux », ou plus exactement les « Pairs » – consacrant leur vie à la défense et à la politique de la cité pendant que des dépendants, les hilotes[16], cultivaient la terre civique et que les périèques[17] s'autoadministraient aux marges de la cité.

E - LA TYRANNIE

Ailleurs, les troubles sociaux permirent à un homme seul, souvent appuyé sur le dêmos (le peuple), d'arracher le pouvoir à l'aristocratie et d'instaurer un régime fort. Le terme de tyrannie n'implique, à l'origine, aucun jugement de valeur sur l'exercice du pouvoir, mais qualifie simplement un pouvoir absolu, établi et maintenu en dehors de toute légalité constitutionnelle. Il n'y a pas de schéma unique de la tyrannie.

L’historien grec du Ve siècle av. J.-C. Thucydide remarquait déjà un lien entre la tyrannie et l'accroissement des richesses dû aux échanges, et, à l'appui de sa démonstration, il citait Samos (avec son tyran Polycrate[18]), Phocée (pour laquelle la tradition n'a pourtant conservé le nom d'aucun tyran) et Corinthe (avec les Cypsélides).

L'exemple de Sicyone, avec la tyrannie des Orthagorides, montre comment peuvent intervenir également les facteurs ethniques, du moins avec Clisthène (grand-père du réformateur athénien), qui, à l'aube du VIe siècle, s'appuie sur le peuple dans sa lutte contre l'aristocratie.

Aux confins du monde grec, enfin, il ne fait aucun doute que la menace des Barbares accroît le besoin d'un pouvoir fort. À Samos, Polycrate se veut ainsi le champion de la lutte contre les Perses, et, à Syracuse, la tyrannie des Déinoménides joue sur le danger indigène, et plus encore carthaginois. C'est le cas de Gélon[19], au début du Ve siècle, et, en 405, de Denys l'Ancien[20]. Mais cette tyrannie des Déinoménides, d'ailleurs tardive, fait figure d'exception.

F - LE TYRAN « DÉMAGOGUE »

Le tyran « démagogue » est, littéralement, le « chef du peuple », ce qui ne signifie pas qu'il soit un démocrate. Par contre, si les institutions ne sont pas modifiées (les postes clés étant occupés par des hommes-liges[21]), le tyran, pour avoir l'appui du peuple, doit prendre des mesures en sa faveur. Les activités agricoles, artisanales et commerciales sont encouragées, et la politique de grands travaux, systématiquement développée par les tyrans (aqueducs, fontaines, ports), accroît le bien-être dans la cité. Enfin, le développement de l'État avec des finances qui lui sont propres (perception de la dîme sur les revenus de la terre ou de taxes sur ceux du commerce), la politique de prestige (embellissement de la ville, cour brillante) et la multiplication des fêtes religieuses, cimentent l'unité de la communauté. D'autant que les cultes poliades[22] sont renforcés d'éléments populaires.

Une expansion de la cité correspond à la phase tyrannique (politique extérieure active, développement des échanges) et à un dynamisme accru du dêmos, en particulier du dêmos urbain. Dans le même temps, l'aristocratie, atteinte par le coup d'État que représente la prise du pouvoir par le tyran, est en perte de vitesse. Il ne faudrait pas croire, cependant, que la chute de la tyrannie se traduit partout par l'accession du dêmos au pouvoir. Les situations varient en fonction du temps et des cités. À Argos, après la tyrannie ancienne de Phidon, l'aristocratie récupère le pouvoir ; à Corinthe, si les Bacchiades ne retrouvent pas leurs prérogatives, c'est une oligarchie modérée qui s'installe, où la richesse, bien plus que la naissance, détermine la participation aux affaires publiques ; dans une grande partie de la Grèce, d'ailleurs, la lutte entre le petit nombre (les oligoi) et la masse polloi) ne s'apaisera jamais de manière durable.

G - LE « DÊMOS »

Rares sont les cités où, comme à Athènes, le dêmos conquiert réellement le droit de se diriger lui-même. Encore faut-il remarquer qu'une expérience semblable avait déjà été tentée : une inscription (dite « Constitution de Chio[23] » et datée du milieu du VIe siècle) donne le peuple comme auteur de la loi constitutionnelle rhêtra) gravée sur un cube de pierre fiché sur un pieu ; ce qui permettait, en le faisant tourner, d'en consulter les quatre faces. L'assemblée du peuple se réunit à jours fixes, elle rend la justice, et ses représentants, les démarques, jouent un rôle dominant dans la cité aux côtés des « rois », vestiges d'une société aristocratique qui n'est plus maîtresse du pouvoir.

Au-delà des facteurs d'évolution communs à toute la Grèce et de la crise, très générale, de la société aristocratique, l'époque classique s'ouvre donc sur une Grèce aux visages très variés.

V - LA GRÈCE CLASSIQUE (Ve - IVe SIÈCLE av. J.-C.)

L'époque classique, considérée comme l'âge d'or de la civilisation grecque (Ve siècle-IVe siècle), va réunir toutes ses histoires particulières en un destin commun.

A - LES GUERRES MÉDIQUES

Le Ve siècle s'ouvre cependant sur la menace de l'expansion perse (ancien Iran). Les cités grecques d'Asie, encerclées par l'Empire perse, ont finalement accepté la domination du vainqueur, lorsqu'une révolte, à l'initiative de Milet (cité d’Asie mineure, sur l’actuelle côte turque) en 499, provoque l'appel aux cités de Grèce propre, qui ne se sentent guère solidaires. Seules Athènes et Érétrie (qui fournissent respectivement vingt et cinq bateaux) envoient une expédition et incendient Sardes, une des capitales du Grand Roi Darios ou Darius 1er, en 498. L'Empire perse cependant reste intact, Milet est bientôt prise et saccagée, les cités d'Ionie (sur la côte turque) doivent se soumettre.

Puis Darios décide d'envahir la Grèce. En 490, il soumet les îles, pille Érétrie, réduit ses habitants en esclavage et débarque en Attique[24], au nord de Marathon. Athènes fait face, appuyée seulement par quelques Platéens[25] (10 000 hommes contre les 20 000 combattants du Grand Roi). Les Perses doivent reprendre la mer et leurs pertes sont très lourdes.

B - L’UNION DES CITÉS

Alors qu'Athènes se prépare activement à un retour probable des Perses par la construction d'une flotte, il faut attendre l'été 481 pour que les autres cités réagissent au danger (Xerxès, qui a succédé à son père Darios en 486, prépare alors sur terre et sur mer une offensive considérable). La volonté de résistance cependant est loin d'être unanime : certaines cités, comme Thèbes, refusent de se battre ; d'autres, comme Sparte, préféreraient assurer la défense du Péloponnèse sur l'isthme de Corinthe. Finalement, le commandement des forces communes est confié à Sparte, dont l'armée est la plus puissante. Cependant, malgré la résistance héroïque du roi de Sparte, Léonidas, aux Thermopyles[26], l'armée de Xerxès s'avance jusqu'en Attique. Dans le même temps, sa flotte s'apprête à occuper la rade de Phalère. C'est alors que le général athénien Thémistocle, par la ruse, réussit à attirer une partie de la flotte ennemie près de Salamine[27], où a lieu la bataille décisive (480). L'année suivante, à Platées[28] en Béotie, le reste de l'armée des Perses est battu, et leur flotte subit, au large des côtes asiatiques, d'ultimes défaites.

Les Grecs ont conscience d'avoir remporté une immense victoire. Unies pour la première fois sous un même commandement, les cités grecques libres ont triomphé des forces imposantes du Grand Roi, l'hellénisme de la monarchie barbare.

C - L’HÉGÉMONIE ATHÉNIENNE

L'alliance conclue face au danger perse ne survit pas à la victoire ; celle-ci, d'abord et surtout athénienne, marque le début d'un processus qui, en quelques décennies, va faire de la cité attique la maîtresse du monde égéen.

Sparte voit avec inquiétude l'hégémonie d'Athènes se développer en Égée, et ce que l'on peut considérer comme la première guerre du Péloponnèse éclate lorsque la cité athénienne prétend contrôler une partie de la Grèce centrale et septentrionale.

Le conflit s'achève en 446 en raison des multiples problèmes intérieurs rencontrés par chacune des cités.

Athènes et Sparte signent une paix conjointe de trente années mais les Péloponnésiens craignent le développement de la puissance athénienne.

D - LA GUERRE DU PÉLOPONNÈSE

Ainsi, en 431, Athènes se voit confrontée à presque toute la Grèce continentale sauf les Argiens[29] et les Achéens[30] restés neutres dans le Péloponnèse ainsi qu'à la Grèce centrale.

E - PÉRICLÈS

Périclès[31] juge l'affrontement inévitable et le moment lui semble favorable ; il est certain de remporter rapidement la victoire par une action maritime, Athènes se trouvant en position de force. La ville semble être une forteresse inexpugnable ouverte sur la mer.
En fait, la résistance péloponnésienne se révèle plus forte que prévu, et Athènes est cruellement affaiblie par une épidémie de peste qui coûte la vie à Périclès (429).

F - CLÉON LE DÉMAGOGUE

Cléon le Démagogue son remplaçant, est battu à Platées (427), mais gagne à Sphactérie (425). Les Spartiates réorganisent alors leur armée et portent le combat en Thrace, au nord-est de la Grèce, (424), où ils battent les Athéniens devant Amphipolis.

À la mort de Cléon, en 422, le parti conservateur et pacifiste impose Nicias[32] ; il signe, en 421, la paix qui porte son nom, prévoyant le retour aux positions antérieures pour cinquante ans.

G - ALCIBIADE

Alcibiade[33] dirige alors la politique athénienne et conclut une alliance avec les Argiens, qui avaient été battus par Sparte à Mantinée, en 418. Alcibiade se lance alors dans l'aventureuse expédition de Sicile (415-413), qui se termine par la victoire de Syracuse et la destruction de l'armée et de la flotte athéniennes.

Ce désastre provoque la défection de plusieurs alliés d'Athènes, alors que Sparte s'allie à la Perse en échange des villes d'Ionie et d'importants subsides.

H - ATHÈNES EXSANGUE

Après de graves troubles intérieurs (révolte oligarchique, Conseil des Quatre-Cents[34], 411-410), Athènes connaît un bref redressement et remporte quelques victoires. Le retour d'Alcibiade (407) et la victoire aux îles Arginuses (406) lui permirent de rétablir la situation.

Mais, en 405, la nouvelle flotte athénienne est de nouveau détruite, à l'embouchure de l'Aigos-Potamos, par Lysandre[35], qui met le siège devant Athènes.
C'est une Athènes exsangue et démoralisée qui poursuit la guerre. Épuisée par la famine, la ville se rend sans condition en 404. Les vainqueurs lui imposent de dures conditions : la destruction des fortifications, la dissolution de la Confédération maritime et l'instauration d'un gouvernement oligarchique, la tyrannie des Trente[36], appuyé par une garnison spartiate.

I - LES CRISES DU IVe SIÈCLE

La guerre est un désastre, et cela autant pour Athènes que pour toute la Grèce. Sparte avait combattu pour « rendre aux cités grecques leur liberté et leur autonomie » : la première conséquence de sa victoire est le retour des Grecs d'Asie Mineure sous la domination perse (en échange de l'or qui lui avait permis de conduire la guerre).

Non seulement les autres cités ont subi de lourdes pertes, mais encore les troubles intérieurs se sont nourris d'un conflit dont le caractère politique s'est progressivement affirmé : face à Athènes, rempart des démocrates, Sparte apparaît en effet comme le soutien des oligarques, où qu'ils soient.

Complots, séditions, massacres sont devenus monnaie courante selon Énée le Tacticien[37]. Même Sparte, la victorieuse, a perdu, outre nombre de ses hoplites, un peu de son âme et, en tout cas, de l'austérité qui faisait sa force. Ses plus fidèles admirateurs (tels Xénophon[38] ou Platon) dénonceront cet amour nouveau des richesses comme responsable de sa décadence.

J - ÉVANOUISSEMENT DE L’ÉGALITÉ ENTRE CITOYENS

Mesure significative : en 400, la loi d'Epitadeus autorise la libre disposition du cléros (lot de terre cultivé par les hilotes et affecté au citoyen par l'État). Cette loi entérine, en fait, une évolution des mœurs : les citoyens n'avaient plus d'égaux que le nom ! Le complot de Cinadon[39], en 397, étale au grand jour le mécontentement des « inférieurs » et, s'il échoue, il annonce les révolutions du IIIe siècle.

Luttes entre les riches et les pauvres, entre les aristocrates et les démocrates, des révoltes éclatent ici ou là : massacres des riches par les déshérités à Corinthe en 392 ; scytalisme à Argos en 370, où les pauvres assomment à coups de bâton (scytale) près de 1 500 riches et se partagent leurs biens. Peut-être a-t-on exagéré cette « crise de la cité », peut-être surtout n'a-t-on pas assez remarqué que, paradoxalement, c'est la grande vaincue, Athènes, qui – vraisemblablement grâce à son régime démocratique retrouvé – évite les affrontements les plus violents.

Il n'en reste pas moins que la guerre du Péloponnèse a servi de catalyseur aux tendances dissolvantes qui menaçaient la cité ; on voit, par exemple, refleurir les tyrannies qui avaient accompagné la crise de l'archaïsme : celle de Denys l'Ancien, en Sicile, dès 405 ; celles d'Euphron à Sicyone, de Cléarque en Asie Mineure ou, en Carie, celle de Mausole[40], véritable précurseur des monarques hellénistiques.

K - D’INCESSANTES LUTTES INTESTINES

Le IVe siècle est troublé aussi par les combats continuels que se livrent les cités les plus importantes – Sparte et Athènes bien sûr, mais aussi Thèbes – pour prétendre au commandement en Grèce : assez fortes pour conquérir l'hégémonie – au besoin avec l'aide des Perses –, elles sont trop faibles pour la conserver.

De 404 à 355, l'histoire fourmille ainsi de renversements d'alliances et de conflits plus ou moins étendus.

Sparte perd bien vite la confiance des Grecs, et la paix du Roi (386), qui fait du souverain perse Antalcidas l'arbitre des luttes entre les cités, apparaît à tous comme une trahison. Sa domination, d'ailleurs, se fait vite très dure. Affaiblie par les troubles sociaux, Sparte ne peut empêcher Athènes de créer un réseau d'alliances, et le décret d'Aristotélès (377) reconstitue bientôt une nouvelle confédération maritime. Comme la première, et malgré les précautions prises (garantie de l'autonomie des cités), elle s'achèvera par une révolte des alliés (357-356).

L'équilibre un instant rétabli entre Sparte, maîtresse du Péloponnèse, et Athènes, à la tête de son empire maritime, est rompu par Thèbes, qui, d'abord entrée dans l'alliance athénienne, joue son propre jeu et remporte sur Sparte, qui ne s'en relèvera pas, la victoire de Leuctres remportée par Épaminondas[41] (371).

À Mantinée[42] (362), les Thébains l'emportent de nouveau, et si la mort d'Épaminondas – il fut tué lors d'un assaut – marque la fin de l'expansion thébaine, la paix, conclue en 361, consacre l'effondrement de Sparte (elle perd la Messénie[43], en sa possession depuis l'archaïsme).

L - UNE GRÈCE DÉCHIRÉE

Épuisé, le pays doit affronter le nouveau danger menaçant sa liberté : Philippe[44], roi des Macédoniens, est devenu, aux marges du monde grec, le chef d'un royaume puissant et bien organisé. Il a entrepris une progression lente mais sûre vers l'est (la Thrace), où depuis le Ve siècle Athènes avait des intérêts ; et vers le sud, où la possession de la Thessalie lui permettra bientôt de contrôler les voies d'accès à la Grèce. Il réussit même, en 346, à entrer au conseil amphictyonique[45] qui administrait le sanctuaire de Delphes. Alors seulement les voix isolées qui, telle celle de Démosthène[46], dénonçaient le danger macédonien trouvent quelque écho. Une coalition se forme qui rassemble autour d'Athènes une partie des cités péloponnésiennes et Thèbes. L'effort militaire est important mais sans espoir : Philippe, vainqueur à Chéronée[47] (338), en Béotie, devient l'arbitre des destinées du monde grec.

M - LA LIGUE DE CORINTHE

Elle est la conclusion d'un congrès convoqué par le Macédonien et réunissant à Corinthe toutes les cités ; ce pacte d'alliance réunit la plupart des cités et des peuples de la Grèce autour de Philippe, son hégémon (son « guide »). Elle se propose de mener contre le Barbare (le roi des Perses) une guerre de vengeance et de conquête. C'est Alexandre[48] qui, après l'assassinat de son père, en 336, reprendra ce dessein et lui donnera l'ampleur que l'on sait. Les cités grecques, quant à elles, ont dès lors et pour toujours, perdu leur indépendance. Il est permis de se demander si ces luttes pour l'hégémonie, dans lesquelles elles s'étaient épuisées, n'étaient que l'expression de leur volonté de puissance ou si elles procédaient aussi de la conscience plus ou moins claire d'une nécessité : celle d'élargir le cadre de la cité, devenu trop exigu et inadapté.

C'est une des ironies majeures de l'histoire de constater que les Grecs, lassés par des luttes fratricides, ont donné à un souverain macédonien – et par conséquent, pour eux, un semi-Barbare ! – la possibilité de réaliser cette unité, puis à son fils de reprendre la lutte contre le Barbare.

VI - L’ÉPOQUE HELLÉNISTIQUE (FIN DU IVe SIÈCLE - IIIe SIÈCLE av. J.-C.)

A - LA GRÈCE AU TEMPS DES CONQUÊTES D’ALEXANDRE

Arrivé au pouvoir en 336, Alexandre le Grand reprend la lutte contre la Perse et se lance à la conquête d'un immense Empire. Mais la Grèce participe peu aux campagnes du Macédonien. En 335, il détruit Thèbes qui s'était révoltée et réforme à son profit la ligue de Corinthe. Parti pour l'Asie, Alexandre laisse quelques garnisons en Grèce mais n'occupe pas militairement Athènes. À l'annonce de sa mort, des cités grecques groupées autour d'Athènes se soulèvent contre les Macédoniens (323-322 av. J.-C.) Cette révolte, connue sous le nom de « guerre lamiaque » se solde par un échec.

B - L’AFFAIBLISSEMENT DE LA TUTELLE MACÉDONIENNE

La domination macédonienne ne dure que le temps de l'unité de l'empire, car les guerres qui opposent les prétendants rivaux à la succession d'Alexandre (321-280 av. J.-C.) l'affaiblissent considérablement. Les Macédoniens doivent se contenter d'exercer un contrôle indirect sur le pays et sont relativement impuissants face aux Grecs qui tentent à plusieurs reprises de se libérer de leur tutelle.

La résistance la plus efficace à la Macédoine est le fait d'États qui parviennent à regrouper de grandes régions sous leur autorité - la ligue Étolienne[49] (290 ?-189 av. J.-C.), la ligue Achéenne[50] (280-198 av. J.-C.) et Sparte[51] (227-221 av. J.-C.) - mais qui en arrivent aussi à se faire la guerre entre eux ou à agresser les cités récalcitrantes au combat, soucieuses de préserver avant tout leur autonomie. L'équilibre du pouvoir entre les monarchies hellénistiques donne à la Grèce un sentiment illusoire d'autonomie, mais le pays devient en réalité l'enjeu de leurs rivalités. Ainsi, le mouvement anti-macédonien est particulièrement exploité par l'Égypte.

Ces guerres de libération épuisent les cités grecques, qui tout en conservant leurs structures politiques traditionnelles, se révèlent incapables de mettre en place une cohésion nationale : la tradition républicaine ne survit que sous la forme des fédérations autonomes, telles que les ligues Étolienne et Achéenne. Favorisée par sa position géographique, sa richesse commerciale et son alliance avec l'Égypte, Rhodes[52] est la seule cité grecque de la fin du IIIe siècle av. J.-C., qui joue encore un rôle actif et indépendant dans le monde égéen.

C - LES TROUBLES SOCIAUX

Tandis qu'elles perdent leur place dans les affaires internationales, les cités grecques sont confrontées à des problèmes sociaux de plus en plus graves. La conquête de l'Orient par Alexandre avait offert une solution provisoire à la crise économique du IVe siècle. Les Grecs qui avaient servi dans l'armée étaient rentrés au pays enrichis, et les nouvelles colonies orientales avaient accueilli des grecs qui ne trouvaient plus de quoi vivre dans leur pays. Un immense marché s'était alors ouvert aux exportations et la Grèce était entrée dans une période de prospérité qui dura jusque vers 280 av. J.-C. Mais après cette date, la situation économique et sociale évolue.

Les conditions qui avaient déclenché la crise du IVe siècle ressurgissent, aggravées par les guerres incessantes. La richesse se concentre aux mains de quelques-uns, et le marché des exportations se rétrécit du fait de la concurrence des nouvelles communautés gréco-orientales. Les ouvriers libres voient leur salaire diminuer ; la classe moyenne - exploitants agricoles ou artisans - se paupérise également. La pratique des infanticides et des avortements se répand chez les riches comme chez les pauvres. Dans de nombreuses cités, la tension sociale s'aggrave et entraîne des conflits ouverts. Seules Rhodes et Athènes demeurent assez prospères pour maintenir le calme chez les populations les plus modestes.

Les principales revendications sociales des révoltés restent, comme au IVe siècle, l'annulation des dettes et la redistribution des terres. La seule nouveauté porte sur l'émancipation des esclaves, car leur appui est indispensable pour s'imposer face aux armées mercenaires.

Dès le début des troubles, la monarchie macédonienne défend l'ordre établi pour faire obstacle à ces mécontents, d'autant que ces derniers concluent parfois des alliances avec ceux qui cherchent à se libérer de la tutelle macédonienne. Ainsi, associée à la ligue Achéenne, la monarchie met fin au régime révolutionnaire de Sparte (221 av. J.-C.), le seul qui eût connu un succès plus qu'éphémère.

VII - LA GRÈCE SOUS LA DOMINATION ROMAINE (200 av. J.-C. - 330 ap. J.-C.)

A - LA CONQUÊTE

N'arrivant pas à se délivrer seule du joug macédonien, la Grèce s'allie finalement aux Romains. Le conflit entre Rome et la Macédoine éclate lorsque Rome établit une tête de pont sur l'Adriatique orientale après deux expéditions contre les pirates illyriens[53] (229-228, 219 av. J.-C.) ; il se transforme en véritable guerre (première guerre de Macédoine, 215-205 av. J.-C.) lorsque le roi de Macédoine, Philippe V (qui régna de 221 à 179 av. J.-C.), conclut une alliance avec Carthage. La deuxième guerre de Macédoine (200-197 av. J.-C.) fait de Rome - massivement soutenue par les États de la ligue Étolienne, Athènes, Sparte et Rhodes, tous ennemis de la Macédoine - la principale puissance en Grèce.

La proclamation, en 196 av. J.-C., de la liberté de toutes les cités grecques, par le général romain Titus Quinctius Flaminius[54] est reçue avec enthousiasme. Les conquérants prennent en effet, dans un premier temps, la décision de ne pas organiser la Grèce en province romaine. Cela signifie pour les populations libérées qu'elles ne sont pas obligées de payer un tribut aux Romains ni d'accueillir une garnison, et que les tribunaux locaux conservent leur indépendance. Néanmoins, les Romains imposent des modifications territoriales aux cités grecques qu'ils ont délivrées de la tutelle macédonienne. Ils dictent à certaines des dispositions constitutionnelles et attendent de toutes qu'elles mènent une politique étrangère proromaine.

B - UNE AUTONOMIE ILLUSOIRE

Mais, rapidement, toutes les cités grecques, y compris celles qui avaient été neutres ou proromaines durant les guerres macédoniennes, prennent conscience de leur sujétion. Le sentiment anti-romain est particulièrement fort dans les couches les plus modestes de la population, car Rome, comme la Macédoine avant elle, contribue à renforcer le rôle politique des citoyens les plus riches. Ainsi, les fonctions de magistrats sont le plus souvent confiées à des propriétaires fonciers. Les Grecs apportent leur soutien à ceux qui résistent également aux Romains dans la région égéenne, c'est-à-dire à Antiochos III de Syrie durant la guerre syrienne (192-189 av. J.-C.), puis à Persée de Macédoine dans la troisième guerre de Macédoine (171-168 av. J.-C.), et enfin à Mithridate VI Eupator, roi du Pont, dans la première guerre mithridatique (88-84 av. J.-C.).
En 146 av. J.-C., la ligue Achéenne se lance dans une rébellion qui se solde par un échec, aboutit à la destruction de Corinthe et à la soumission totale de la Grèce. La plupart des cités sont contraintes au paiement d'un tribut et voient leurs constitutions modifiées. Toutes les ligues sont dissoutes et les citoyens ne sont plus autorisés à posséder des biens dans plus d'une communauté.

C - LES CONSÉQUENCES

La domination romaine a des effets catastrophiques. Plus encore que les Macédoniens, les Romains brisent toute velléité d'opposition en réprimant impitoyablement leurs ennemis, comme en témoignent la destruction de Corinthe en 146 av. J.-C. et le massacre des Athéniens ordonné par Sulla[55] en 86 av. J.-C. De plus, les dévastations se poursuivent après l'écrasement de la résistance grecque, car la région devient l'un des principaux théâtres des guerres civiles romaines, avec les batailles de Pharsale[56] (48 av. J.-C.), de Philippes[57] (42 av. J.-C.) et d'Actium[58] (31 av. J.-C.).

Ce conflit est également désastreux du point de vue économique : la stratégie de Rome consiste à isoler les monarchies hellénistiques d'Orient les unes des autres et à les couper de la Grèce, brisant ainsi les liens commerciaux qui avaient été à l'origine de la prospérité de ces régions. L'effondrement de l'économie est tel qu'au 1er siècle av. J.-C. la Grèce est obligée d'importer d'Italie l'huile et le vin qui, jusque là, constituaient la quasi-totalité de ses exportations. Sous le règne d'Auguste (27 av. J.-C.-14 après J.-C.), les seules villes florissantes sont les nouvelles colonies créées par l'empereur.

D - LA PACIFICATION

À partir du 1er siècle après J.-C., Rome renonce à son hostilité vis-à-vis de la Grèce et se lance dans une politique plus conciliante. Bien qu'organisée en province romaine depuis 27 av. J.-C., la Grèce conserve quelques cités « libres » (par conséquent exemptées du paiement du tribut) ; d'autres le deviennent sur l'initiative des empereurs philhelléniques[59] du IIe siècle de notre ère (Hadrien, Marc-Aurèle). À partir de cette époque, les Grecs peuvent siéger au sénat romain. Les cités détruites (Corinthe et Patras) retrouvent vie grâce à l'établissement de colonies romaines, et Auguste fonde une ville nouvelle à Nicopolis[60]. Les centres urbains et religieux (Athènes, Olympie et Delphes) s'enrichissent de nouveaux bâtiments publics, sous l'impulsion notamment de l'empereur Hadrien[61] (qui régna de 117 à 138 après J.-C.). Les programmes de grands travaux (le canal de Corinthe laissé inachevé par Jules César ou l'assèchement du lac Copaïs, en Béotie, par Hadrien) témoignent du changement d'attitude de Rome. Hadrien subventionne également des festivals religieux tandis qu'Antonin le Pieux[62] (qui régna de 138 à 161 après J.-C.) et son successeur Marc Aurèle[63] créent des chaires de rhétorique et de philosophie à Athènes. La solidarité grecque s'exprime à nouveau par la fondation de ligues (la ligue Achéenne, l'amphictyonie[64] de Delphes) et la création à l'initiative d'Hadrien d'une ligue panhellénique basée à Athènes, ouverte aux communautés grecques de tout le monde romain.

E - LE DÉCLIN DES CITÉS

Malgré l'évolution de la politique romaine, la Grèce ne parvient pas à redresser sa situation économique. Le pays est dépeuplé ; toutes les richesses du pays sont aux mains de quelques privilégiés ; les exploitations d'agriculture intensive du 1er siècle av. J.-C. sont transformées en pâturages. Aussi, lorsque les barbares (Goths[65] et Hérules[66]) s'emparent d'Athènes en 267 après J.-C., puis dévastent le sud du pays jusqu'à Sparte, ils ne rencontrent pas de résistance significative. Au IVe siècle, Corinthe et Athènes restent les seuls centres urbains importants.

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[1] Se dit de l'âge du bronze (v. 2 600-1 200 av. J.-C.) sur le continent grec, dont la dernière phase correspond à la civilisation mycénienne.

[2] Archipel grec de la mer Égée, au large de la Turquie et dont Rhodes est l'île principale.

[3] D’Homère avec L’Iliade et L’Odyssée.

[4] Lacédémone est l’autre nom de Sparte.

[5] Au sens strict, l'ethnos était constitué par « une population dispersée sur un territoire dépourvu de centre urbain, unie politiquement par le biais des coutumes et de la religion, gouvernée par une assemble périodique réunie dans un lieu central unique et qui adorait une divinité tribale dans un sanctuaire commun. Si plusieurs centres urbains se développaient à l'intérieur du territoire de l'ethnos, ils pouvaient parvenir à une forme d'autonomie intermittente, agir comme de petits Etats séparés ; inversement si une seule cité concentrait toute la puissance de l'Etat, elle tendait alors à s'imposer par la force comme centre politique d'une partie de l'ethnos au moins et à le transformer en polis. » (Anthony SNODGRASS, La Grèce Archaïque).

[6] Constitution d'une cité à partir de plusieurs villages.

[7] Archonte : dans l'Antiquité, premier magistrat des républiques grecques.

[8] Polémarque : Chez les anciens Grecs, commandant d'armée. A Athènes, le Polémarque ou troisième archonte n'était pas général, il était plutôt ministre de la guerre, et en avait l'administration.

[9] Éponyme : dans l'Antiquité, magistrat qui donnait son nom à l'année.

[10] Lydie : royaume de l'Asie Mineure, dont la capitale était Sardes. Ses rois les plus célèbres furent Gygès et Crésus. La Lydie tomba au pouvoir des Perses en 547 av. J.-C.

[11] Solon : homme d'État athénien (v.  640 - v. 558 av. J.-C.). Son nom est attaché à la réforme sociale et politique qui amena l'essor d'Athènes. Ayant accédé au pouvoir (594-593), il partage les citoyens en quatre classes censitaires. Les riches ont accès aux magistratures, les pauvres (les thètes) participent aux réunions de l'ecclésia (assemblée des citoyens) et siègent désormais à l'héliée (tribunal populaire). Il semble que Solon ait eu le souci de développer en Attique l'artisanat (en obligeant les pères à apprendre un métier à leur fils) et le commerce. Il figure au nombre des Sept Sages de la Grèce.

[12] Ornement qui forme la partie supérieure d'un casque.

[13] Formation de combat des hoplites disposés en une masse profonde de plusieurs rangs, à l'époque classique.

[14] Dracon : législateur d'Athènes (VIIe siècle av. J.-C.). Le code qu'il rédigea v. 621 av. J.-C. est resté célèbre par sa sévérité. Les lois draconiennes imposaient l'autorité de l'État en matière judiciaire et réduisaient la puissance et l'arbitraire des clans familiaux.

[15] Lycurgue : législateur mythique de Sparte, à qui on attribua les sévères institutions spartiates (IXe siècle av. J.C. ?).

[16] Esclave d'État, à Sparte. Les Hilotes sont asservis en bloc mais possédés individuellement : l'hilote a un maître, mais ce maître ne peut, en théorie, ni le vendre, ni le chasser, ni le maltraiter ou le tuer, il ne peut l'affranchir. Les Hilotes appartiennent à l'Etat : esclaves de la communauté mis à la disposition des citoyens, liés à un domaine. L'hilote a une famille, il dispose d'une maison. La redevance (apophora) au maître spartiate est calculée sur les besoins du citoyen, elle est immuable. Le surplus appartient à l'hilote qui peut ainsi s'enrichir par son travail tandis que le citoyen spartiate est condamné au mieux à maintenir son niveau de vie. Serf attaché à un domaine, l'hilote est aussi soldat dans l'infanterie légère et il assure tous les services auxiliaires de l'armée en campagne.

[17] Leur nom signifie ceux qui habitent autour. Ce sont des hommes libres, exerçant leur droit de cité dans leurs bourgades dans les régions montagneuses. Les Périèques paient l'impôt à Sparte et sont membres de l'État lacédémonien mais ils n'ont pas de droits politiques, ni la plénitude des droits civils. Ils ne peuvent être magistrats, ni même participer à l'assemblée. Le plus grand nombre cultive les terres de la perioikis mais certains d'entre eux s'adonnent à l'industrie et au commerce ou travaillent pour l'armée : confection des uniformes et des armes. Aux Jeux, ils participent aux épreuves en tant que Lacédémoniens. Ils doivent le service militaire à Sparte.

[18] Polycrate : tyran de Samos (mort à Magnésie du Méandre en 522 av. J.-C.). Samos connut sous son règne (533/532-522 av. J.-C.) une grande prospérité. Il attira à sa cour des artistes et des écrivains, dont le poète lyrique Anacréon.

[19] Gélon : tyran de Gela (491-485) et de Syracuse de 485 à 478 av. J.-C., vainqueur des Carthaginois à Himère (480).

[20] Denys l’Ancien (430-367 av. J.-C.) : tyran de Syracuse (405-367 av. J.-C.). Il chassa les Carthaginois de Sicile, soumit à son autorité toutes les villes grecques de l'île et fonda des comptoirs en Italie. Il protégea les lettres (Platon) et fit de Syracuse un important centre économique.

[21] Homme-lige : homme dévoué à un autre.

[22] Poliade : relatif à une cité (exemple : une divinité poliade, protectrice de la cité : Athéna à Athènes).

[23] Île grecque de la mer Égée, près des côtes turques.

[24] Péninsule de la Grèce où se trouve Athènes. 

[25] Habitants de Platées, ville de Béotie.

[26] Bataille de la deuxième guerre médique où Léonidas et 300 Spartiates se firent massacrer sans parvenir à arrêter l'armée perse de Xerxès 1er au défilé des Thermopyles, sur la côte sud du golfe de Lamia (au sud  de la Thessalie : au sud du Mont Olympe, sur la mer Égée).

[27] Victoire décisive de Thémistocle, à la tête de la flotte grecque, sur la flotte du Perse Xerxès 1er (deuxième guerre médique), non loin des côtes de l'île de Salamine, dans le golfe d'Égine.

[28] Bataille de Platées (août 479 av. J.-C.) : victoire remportée sur les Perses par la Confédération des Grecs dirigée par le Spartiate Pausanias sous les murs de Platées (Béotie) pendant la seconde guerre médique.

[29] Habitants d’Argos : cité du  Péloponnèse, près du golfe de Nauplie.

[30] Famille ethnique grecque dont la civilisation eut pour centres Mycènes et Tirynthe.

[31] Périclès : homme d'État athénien (v.  495 - Athènes 429 av. J.-C.). Le rôle de Périclès dans l'ascension politique et dans l'épanouissement culturel d'Athènes lui a valu de donner son nom au siècle le plus brillant de la Grèce classique, le «  siècle de Périclès  ». Le chef de la démocratie athénienne : Né vers 495 av. J.-C., il participe à la lutte contre l'Aréopage, aux côtés d'Éphialtès, chef du parti démocratique d'Athènes. Après l'assassinat de ce dernier, Périclès lui succède à la tête du parti et dirige l'État en tant que stratège, magistrature à laquelle il sera réélu au moins quinze fois entre 443 et 429. Il poursuit alors la démocratisation de la vie politique de la cité : l'archontat (dignité d'archonte, premier magistrat des républiques grecques) est ouvert à tous les citoyens, le tirage au sort est étendu à de nombreuses magistratures et une indemnité est versée aux détenteurs de fonctions politiques. Mais il institue les «  procès d'illégalité  » pour annuler les décisions de l'assemblée du peuple (ecclésia) qui iraient à l'encontre des lois existantes. L'hégémonie athénienne : Dans le conflit qui oppose à Athènes, Corinthe, Égine, Sparte et ses alliés, Béotiens (de Béotie : contrée de la Grèce ancienne, au nord-est du golfe de Corinthe, dont le centre principal était Thèbes) et Perses (459-446), Périclès dirige fréquemment les opérations militaires. Mais, après la paix de Callias avec les Perses (449) et la paix de Trente Ans avec Sparte (446), il ne compte plus que sur des méthodes pacifiques, sur le prestige de ses réalisations culturelles et sociales, pour imposer l'hégémonie athénienne aux cités grecques encore indépendantes. Athènes connaît alors l'apogée de sa civilisation : c'est l'époque de l'architecte Phidias, de Sophocle et d'Euripide, de l'enseignement des sophistes et de Socrate. Périclès fait également réaliser de grands travaux : fortifications du Pirée, travaux de l'Acropole. Ces énormes dépenses l'obligent à puiser dans la caisse de la Confédération athénienne, à faire peser l'impérialisme d'Athènes sur ses alliés et, pour cela, à développer dès 448-447 le système des clérouquies (colonies peuplées d'Athéniens) dans la Chersonèse (nom que les Grecs donnaient à plusieurs péninsules, dont la plus célèbre est la Chersonèse de Thrace (aujourd’hui  presqu'île de Gallipoli), en Eubée et dans les îles ; leur présence humilie les alliés. Mais Périclès réussit à briser leurs velléités d'indépendance. La guerre du Péloponnèse : Prévoyant le conflit avec Sparte, Périclès y prépare le camp athénien. Il serait à l'origine du décret qui, en interdisant les marchés de l'Attique et les ports de la Confédération aux Mégariens (de la ville de Mégare sur l'isthme de Corinthe. Prospère aux VIIe et VIe s. av. J.-C., elle fonda de nombreuses colonies, dont Byzance), provoque la guerre du Péloponnèse (431). Une opposition se manifeste, formée d'ennemis personnels et d'ambitieux déçus, d'oligarques groupés derrière Thucydide rentré d'exil ; des procès sont intentés à ses amis Phidias et Anaxagore, et à sa maîtresse Aspasie. Mais le peuple lui fait toujours confiance et, adoptant son plan de campagne, s'enferme derrière les murs d'Athènes dès le début de la guerre. Lorsque la peste éclate, ses adversaires, profitant du découragement du peuple, font condamner Périclès à une lourde amende. Réélu stratège au printemps de 429, il succombe à son tour à l'épidémie (sept. 429).

[32] Nicias : général athénien (v. 470 - Syracuse 413 av. J.-C.). Il se distingua pendant la guerre du Péloponnèse, négocia la paix avec Sparte (421) et périt dans l'expédition de Sicile, qu'il avait désapprouvée.

[33] Alcibiade : général athénien (v. 450 - en Phrygie 404 av. J.-C.). Il fut l'élève de Socrate. Chef du parti démocratique, il entraîna sa patrie dans l'aventureuse expédition contre la Sicile (415). Accusé de sacrilège (mutilation des statues d'Hermès), il s'enfuit et vécut quelque temps à Sparte ; il se réfugia ensuite auprès du satrape Tissapherne, puis se réconcilia avec Athènes ; à nouveau exilé, il mourut assassiné.

[34] En 411, le parti aristocratique profite de la crise ouverte par la désastreuse expédition de Sicile et de l'absence d'une bonne partie du démos partie combattre pour faire voter l'instauration du régime oligarchique des Quatre Cents. La démocratie est abolie au profit d'un conseil des Quatre Cents, représentant les possédants, épaulé par une assemblée de 5 000 citoyens. Les dissensions internes au régime amène sa chute dans des circonstances peu précises dès 410.

[35] Lysandre : général spartiate (m. en 395 av. J.-C.). En 405 av. J.-C., il défit la flotte athénienne à l'embouchure de l'Aigos-Potamos, petit fleuve de Thrace, et prit Athènes (404), dont il fit raser les murs.

[36] Les Trente : nom donné aux trente membres d'un conseil oligarchique imposé par les Spartiates aux Athéniens (404 av. J.-C.). Ils se signalèrent par leur despotisme et de nombreuses exécutions. Critias en fut l'animateur. Thrasybule les chassa (déc. 404 ou janv. 403), et la démocratie fut rétablie.

[37] Énée le Tacticien (ou Énée de Stymphale) est un militaire grec du IVe siècle av. J.-C. auteur de traités, né à Stymphale. Il reste un extrait de ses Mémoires sur la stratégie, où il énumère toutes les précautions à prendre dans une ville assiégée. Cet ouvrage est très riche de par la variété et la précision des exemples et par le caractère judicieux des conseils qui y sont donnés.

[38] Xénophon : écrivain, philosophe et homme politique grec (Erkhia, Attique, v.  430 - v. 355 av. J.-C.). Il fut un des disciples de Socrate. Il dirigea la retraite des Dix Mille, dont il fit le récit dans l'Anabase. On lui doit des traités relatifs à Socrate (les Mémorables), des récits historiques (les Helléniques), des ouvrages d'économie domestique et de politique (l'Économique, la Constitution des Lacédémoniens), un roman historique (la Cyropédie).

[39] Conspiration de Cinadon à Sparte, qui voulait renverser le pouvoir des Égaux (Homoioi) au profit des classes inférieures : périèques, hypomeiones (spartiates déchus), néodamones (ilotes affranchis), nothoi (bâtards de spartiates et de femmes ilotes), mothakes (fils d’ilotes ayant reçu une éducation spartiate). Cinadon est arrêté.

[40] Mausole : satrape de Carie (v. 377-353 av. J.-C.), célèbre par son tombeau à Halicarnasse (le Mausolée). 
Celui-ci, qui comptait parmi les Sept Merveilles du monde, a été réalisé par les artistes les plus fameux de l'époque, parmi lesquels Scopas, Bryaxis et Léocharès.

[41] Épaminondas : général et homme d'État béotien (Thèbes v. 418 - Mantinée 362 av. J.-C.). Un des chefs du parti démocratique à Thèbes, il réorganisa l'armée thébaine et écrasa les Spartiates à Leuctres (371). Sa mort mit fin à l'hégémonie de Thèbes.

[42] Bataille de Mantinée (362 av. J.-C.) : victoire, en Arcadie, du Thébain Épaminondas sur les Spartiates, au cours de laquelle il trouva la mort.

[43] Contrée ancienne du sud-ouest du Péloponnèse.

[44] Philippe II (v. 382-336 av. J.-C.) : régent (359) puis roi de Macédoine (356-336). Il rétablit l'autorité royale, développe l'économie et réorganise l'armée, basée sur un corps d'infanterie, la phalange. Ayant consolidé les frontières de son royaume, il se tourne vers la Grèce. Les Athéniens, malgré les avertissements de Démosthène, réagissent tardivement à la conquête de la Thrace (342-340). Devenu maître de Delphes, Philippe doit lutter contre la coalition d'Athènes et de Thèbes. Vainqueur à Chéronée (338), il établit pour deux siècles la tutelle macédonienne sur la Grèce. Il s'apprête à marcher contre les Perses, lorsqu'il est assassiné à l'instigation de sa femme Olympias ; son fils Alexandre lui succède.

[45] Amphictyonie : association de cités grecques autour d'un sanctuaire commun.

[46] Démosthène : homme politique et orateur athénien (Athènes 384 - Calaurie 322 av. J.-C.). À force d'étude et de ténacité, il réussit à surmonter sa difficulté d'élocution et à acquérir un remarquable talent oratoire qu'il emploie d'abord comme avocat puis, en politique, contre Philippe de Macédoine (Olynthiennes, Philippiques). De 340 à 338, Démosthène dirige la politique athénienne et obtient l'alliance de Thèbes, mais les Athéniens et les Thébains sont écrasés par Philippe à Chéronée (338). Exilé, Démosthène encourage la révolte des Grecs, après la mort d'Alexandre, mais s'empoisonne après leur défaite. Son œuvre d'orateur, riche d'une soixantaine de discours, demeure un modèle.

[47] Bataille de Chéronée (en Béotie) : En 338 av. J.-C., Philippe de Macédoine vainquit les Athéniens et les Thébains, assurant la domination macédonienne sur la Grèce entière.

[48] Alexandre le Grand : Alexandre, fils de Philippe II de Macédoine, naît à Pella, en Macédoine, en 356 av. J.-C. Il a pour précepteur Aristote, apprend l'art militaire dans des campagnes contre les Thraces et les Illyriens et participe à la bataille de Chéronée. Il succède en 336 à son père, assassiné, dont il reprend les projets d'expansion en Asie. Les conquêtes d'Alexandre : Au début de 334 av. J.-C., Alexandre franchit l'Hellespont (les Dardanelles). L'armée du roi de Perse Darios III, très supérieure en nombre, attend les Macédoniens sur les bords du Granique, petit fleuve côtier de Phrygie. C'est là qu'Alexandre remporte sa première victoire en Asie (334), se rendant maître de l'Asie Mineure. En 333, ayant franchi les montagnes de Cilicie, il écrase dans la plaine d'Issos l'armée perse. Alexandre, se refusant à toute négociation, poursuit son plan d'encerclement méthodique de la Méditerranée orientale. Il soumet le littoral syrien (prise de Tyr et de Gaza en 332) et pénètre en Égypte, qui, supportant mal le joug des Perses, l'accueille en libérateur. En 331, il quitte l'Égypte après avoir fondé Alexandrie, traverse le Tigre et l'Euphrate, au-delà duquel Darios III a concentré toutes ses troupes. La bataille décisive a lieu entre Gaugamèles et Arbèles en octobre 331 et marque la fin de la dynastie des Achéménides. Alexandre s'empare de Babylone et de Suse, brûle Parsa (Persépolis) et atteint l'Indus. Mais, son armée étant épuisée, il revient à Suse (324). Le stratège : De son père Philippe II, Alexandre hérite un outil de combat parfaitement rodé, qui a assimilé les leçons de la phalange (corps de troupes dans l'armée) thébaine d'Épaminondas, mobile et manœuvrable. L'armée macédonienne comprend alors une double articulation en formations de cavalerie et d'infanterie, elles-mêmes organisées en unités lourdes ou légères. Dans cette armée, la phalange, formée au combat sur une file de 16 hommes en profondeur, ne constitue qu'un élément (certes central) d'un dispositif complexe et souple. Au plan stratégique, l'originalité d'Alexandre est d'avoir adapté ce dispositif à l'hétérogénéité nouvelle de ses armées, désormais composées, en plus des Macédoniens, d'éléments étrangers (Thraces, Crétois, etc.). Il comprend ensuite que le cœur du dispositif adverse se situe là où se tient le commandement politique de l'armée : le roi. C'est donc là qu'il fait porter l'effort de ses troupes. L'organisation de l'empire : Alexandre conserve une grande partie des institutions perses (fiscalité, division en satrapies), adopte le cérémonial de la cour des Achéménides et gouverne à la manière d'un despote oriental. Il crée de nombreuses villes, auxquelles il donne son nom. S'efforçant de fondre les civilisations perse et grecque, il encourage l'intégration des Perses dans l'armée et favorise les mariages entre les deux communautés. La postérité : L'empire créé par Alexandre et que seule maintenait sa puissante personnalité ne lui survit pas. Il est partagé après sa mort (323) entre ses généraux (les diadoques), qui donnent leurs noms aux différentes dynasties qu'ils créent (Lagides, Séleucides, etc.). Ces royaumes forment un monde qui s'étend de l'Indus à l'Asie Mineure, et dans lequel s'épanouit une nouvelle civilisation grecque, dite «  hellénistique.  »

[49] Étolie : région de la Grèce, au nord du golfe de Corinthe. À partir du IVe s. av. J.-C., ses cités s'unirent en une Ligue («  Ligue étolienne  ») qui mit en échec la Macédoine. Rome la vainquit en 167 av. J.-C.

[50] Confédération de douze villes du Péloponnèse. Créée au Ve siècle av. J.-C., réorganisée en 281 av. J.-C., elle fut anéantie par les Romains en 146 av. J.-C.

[51] Sparte, en proie à une grave crise sociale, ne peut s'opposer à l'ascension de la Macédoine. Dès lors, réduite à la Laconie par Philippe II, elle décline après l'échec de tentatives de réformes. 146 av. J.-C. : Sparte est intégrée à l'Empire romain. Les invasions barbares du IVe siècle apr. J.-C. la ramènent au rang d'une simple bourgade.

[52] Île grecque de la mer Égée (Dodécanèse), près de la Turquie.

[53] Illyrie : région balkanique montagneuse, proche de l'Adriatique, comprenant l'Istrie, la Carinthie, la Carniole. Aujourd’hui, l'Illyrie est partagée entre l'Italie, la Slovénie, la Croatie et l'Autriche. Colonisée par les Grecs (VIIe siècle av. J.-C.), elle fut soumise à Rome à partir de la fin du IIIe siècle av. J.-C.

[54] Général romain (228-174 av. J.-C.). Consul en 198 av. J.-C., proconsul en 197, il battit à Cynoscéphales Philippe V de Macédoine et libéra la Grèce de la domination macédonienne.

[55] Sulla ou Sylla : ou SYLLA (Lucius Cornelius), général et homme d'État romain (138 - Cumes 78 av. J.-C.). Lieutenant de Marius, qu'il rejoignit en Afrique, il se fit livrer Jugurtha par le roi de Mauritanie Bocchus (105). Consul en 88 av. J.-C., il mit fin à la guerre sociale. Dépossédé illégalement de son commandement par Marius, il s'empara de Rome avec son armée, tandis que Marius, mis hors la loi par le sénat, s'exilait en Afrique. Vainqueur de Mithridate VI Eupator, roi du Pont (96), il devint le chef du parti aristocratique et écrasa le parti de Marius (82). Il proscrivit les opposants, renforça les pouvoirs du sénat et se fit attribuer une dictature à vie (82). Parvenu à l'apogée de sa puissance, il renonça brusquement à ses pouvoirs et se retira en Campanie (79 av. J.-C.).

[56] Bataille de Pharsale (août 48 av. J.-C.) : bataille remportée en Thessalie par César sur Pompée. Peu après, Pompée fut assassiné en Égypte.

[57] Ville macédonienne de Thrace. Antoine et Octave y vainquirent Brutus et Cassius en 42 av. J.-C.

[58] Victoire navale d'Octavien et d'Agrippa sur Antoine, ancien lieutenant de César. Elle eut lieu à l'entrée du golfe d'Ambracie (aujourd'hui d'Árta), en Grèce, au sud de Corfou. Elle assura à Octavien, le futur Auguste, la domination du monde romain.

[59] Partisans d’une certaine indépendance grecque.

[60] Nicopolis, littéralement « la ville de la victoire » : ici Nicopolis d'Épire, fondée par Auguste pour commémorer la victoire d'Actium en 31 av. J.-C.

[61] Empereur romain (117-138). Successeur de Trajan, qui l'avait adopté, il fit du Conseil du prince un organe de gouvernement, tendit à unifier la législation (édit perpétuel, 131) et protégea l'Empire contre les Barbares au moyen de fortifications continues (mur d'Hadrien en Bretagne [Angleterre]). Prince lettré, grand voyageur, il aménagea près de Rome la vaste villa qui porte son nom (villa Hadriana). Avant sa mort, il adopta Antonin, son neveu par alliance, qui lui succéda. Son mausolée est devenu le château Saint-Ange, à Rome.

[62] Empereur romain (138-161). Membre d'une riche famille sénatoriale, consul en 120, proconsul d'Asie (133-136), il déploya des compétences d'administrateur et fut remarqué par Hadrien, qui l'adopta en 138. Empereur pacifique, humain et économe des deniers publics, il assura la paix aux provinces de l'Empire romain, dont son règne a marqué l'apogée.

[63] Empereur romain (161-180). Adopté par Antonin, il lui succéda. Son règne, durant lequel il renforça la centralisation administrative, fut dominé par les guerres : campagnes contre les Parthes (161-166) et contre les Germains qui avaient franchi le Danube et atteint l'Italie (168-175) puis à nouveau en 178-180. Il associa au pouvoir son fils Commode en 177. Empereur philosophe, il a laissé des Pensées, écrites en grec, où s'exprime son adhésion au stoïcisme.

[64] Fédération de cités grecques à caractère religieux.

[65] Peuple de la Germanie ancienne. Venus de Scandinavie et établis au 1er s. av. J.-C. sur la basse Vistule, ils s'installèrent au IIIe siècle au nord-ouest de la mer Noire. Établis entre Dniepr et Danube, ils se divisèrent entre Ostrogoths, à l'est, et Wisigoths, à l'ouest. Au IVe siècle, l'évêque Ulfilas les convertit à l'arianisme et les dota d'une écriture et d'une langue littéraire. Sous la poussée des Huns (v. 375), ils pénétrèrent dans l'Empire romain.

[66] Ancien peuple germanique. Leur roi Odoacre envahit l'Italie et détruisit l'Empire d'Occident en 476. Ils disparurent au VIe siècle.